Le fameux label Factory Records fête ses 30 ans.
L’occasion d’évoquer le courant graphique qui a accompagné – voire renforcé – l’effet décapant de la toute première vague électronique anglaise, dans les années 80. Un mouvement esthétique très novateur, qui rompait radicalement avec les codes rabachés de la culture pop-rock ou punk.
Pochettes de disques, affiches ou flyers minimalistes s’évertuaient alors à rendre visible la révolution sonore en cours dans les tréfonds de Manchester, dans le sillage d’artistes comme Joy Division, OMD, Can, Wire, les Happy Mondays, ou encore The Durutti Column (sans parler des djs).
À commencer par le visionnaire Peter SAVILLE, l’un des principaux artisans de ce changement d’époque visuel.
Peter SAVILLE. Un style rigoureux, d’une simplicité percutante, en opposition franche avec l’amateurisme tapageur du punk. Certaines mises en page d’inspiration industrielle, non dénuées d’humour. D’autres qui citent le mouvement moderniste (Bauhaus, Tschichold…) ou le graphisme néerlandais.
Voilà le genre de pochette de disque, d’une concision glaciale, qui fera la réputation du groupe New-Order, ainsi que celle de son auteur.
1983 : une disquette en guise de pochette de disque. Le message est limpide : ceci n’est pas un disque traditionnel, mais une œuvre composée à l’aide de machines (synthétiseurs, etc.). Les puristes en sont pour leurs frais. En revanche, les amateurs les plus intrépides ne manqueront pas de tendre l’oreille.
83 : des rayures pour l’autre club mythique de ces années : l’Haçienda. Elles signent alors le lieu, utilisées jusque dans sa décoration intérieure. P. SAVILLE toujours.
Bientôt, les graphistes de 8vo (prononcer « octavo ») s’engouffrent à leur tour dans la brêche. Deux d’entre eux rentrent d’un séjour à la Kunstgewerbeschule de Bâle où leurs professeurs se nommaient… Armin HOFMANN et Wolfgang WEINGART. Pas étonnant dès lors que leurs sensibilités aient été davantage pétries de rigueur suisse que de décontraction anglaise, ni qu’ils se soient donné pour objectif de raccrocher leur pays au train des avant-gardes européennes, de gré… où de force.
8vo pour The Durutti Column. Le genre de composition méticuleusement bricolée à la main qui tend à effacer la limite entre beaux-arts et arts appliqués. On se dit aussi que le « sentiment » de la PAO a manifestement préexisté avant l’informatisation effective du métier de graphiste, sans doute en partie sous l’impulsion de la musique.
Tournant le dos à la médiocrité graphique ambiante, les 8vo vont enchaîner les réalisations résolument épurées et provocatrices, avec la typographie pour arme de prédilection.
Dès 1985, ils produisent eux aussi des affiches pour l’Haçienda (ci-dessus en 89).
Leur pratique professionnelle se double de la publication, à intervalles irréguliers, d’une revue éponyme ( Octavo), à compte d’auteur, dans laquelle ils laissent libre cours à leurs théories graphiques. Huit numéros (comme de juste) verront le jour entre 86 et 92.
À lier aux travaux d’8vo : la mise en page par Why not associates, en 1991, du livre de Rick POYNOR, Typography now, the next wave. Groupe à géométrie variable, à la posture moins définie, les Why not associates n’en signent pas moins là la profession de foi de toute une génération de graphistes.
Mike Farrow a été lui aussi l’un des tout premiers promoteurs du style « house minimaliste » dans les années 90. Difficile en effet d’espérer la présence de guitares électriques à la vue d’un tel message.
Sa proposition pour l’Haçienda est sans doute l’une de ses réalisations les plus décomplexées. Le numéro de téléphone, imprimé dans une encre réfléchissante, était quasi-invisible le jour et n’apparaissait que le soir venu, à la lueur des phares des autos, « la raison étant que l’affiche était importante seulement aux yeux de ceux qui sortaient la nuit. »
1986, Insignia, par Neville BRODY.
De Neville BRODY enfin, il ne sera question que pour clore dignement le sujet du jour, pour les passerelles existant entre sont travail et celui des précédents. Ses mises en page pour les magazines The Face ou Arena participent en effet en leur temps à ce même élan de renouveau moderniste – quasi constructiviste dans son cas – dont nous avons parlé. Mais c’est quand-même une autre histoire.
1985, mise en page du magazine The Face par Neville BRODY.
Bibliographie
- Peter Saville, Designed by Peter Saville, Princeton Architectural Press, 2003
- 8vo, 8vo – On the outside, Lars Muller Publishers, 2005
- Rick Poynor, Typography now – the next wave, Booth-Clibborn, 1991
- Neville Brody, The graphic language of Neville Brody, Thames Hudson, 1988